LESSY dans la tourmente de la guerre 1870 (partie 2)

L’armée du Rhin et la ville de Metz ont capitulé le 27 octobre 1870 ; pour eux les combats sont terminés. Thionville
et Strasbourg sont toujours assiégés. Nancy s’est déclaré ville ouverte. Pour la Lorraine et l’Alsace, tous les
espoirs sont désormais tournés vers Paris pourtant encerclé depuis le 19 septembre et vers les autres provinces
françaises. Mais au sein du gouvernement de Défense nationale des divergences apparaissent : certains députés
réunis autour de Thiers, souhaitant négocier la paix, ont entamé des discussions avec Bismarck dès le 21
septembre.

La poursuite de la guerre jusqu’à l’hallali

L’ensemble du pays y croit encore. Gambetta s’approprie la fonction de ministre de la guerre et, appelant chaque
français à prendre un fusil pour défendre la patrie en danger, proclame la mobilisation générale depuis Tours, qu’il a
gagné le 7 octobre en s’échappant de Paris en ballon. De nouvelles armées sont rapidement constituées mais elles
manquent de généraux, de soldats aguerris et d’un armement de valeur car ceux-ci sont dans les mains de l’armée
allemande depuis les capitulations de Metz et Sedan. Plus de 100 lieux vont être les témoins de combats acharnés,
malheureusement rarement vainqueurs pour nos soldats pourtant courageux ; à l’inverse de celui de Gravelotte, les
noms de ces lieux témoins ne sont restés dans les mémoires que de leurs habitants et des proches des victimes
(on peut les retrouver dans l’excellent ouvrage « Il y a 150 ans la guerre de 1870 » disponible à l’accueil du musée de Gravelotte).

L’armée de la Loire est constituée pour protéger le sud et l’ouest de la France de l’invasion allemande et surtout venir au secours de Paris ; mais après un premier succès à Coulmiers (près d’Orléans) le 9 novembre, son commandant en chef renonce à foncer immédiatement vers Paris et, préférant réorganiser son armée près d’Orléans, laisse le temps aux troupes allemandes libérées par la capitulation de Metz de venir lui barrer la route de Paris. S’en suivent 4 batailles décisives : près d’Orléans le 5 décembre, près du Mans et Laval les 11 et 15 et 18 janvier, au cours desquelles les régiments français valeureux mais sous-équipés sont taillés
en pièces par les troupes régulières allemandes. Paris est désormais seul pour faire face aux armées qui l’encerclent. Lessy L’armée du Nord, improvisée (17 000 hommes) et mal ravitaillée,
pourtant commandée par les généraux Bourbaki puis Faidherbe, est rapidement bousculée près d’Amiens le
28 novembre, Rouen le 5 décembre et St Quentin le 19 janvier en dépit de combats victorieux sans lendemain. Toutes ces villes sont occupées par l‘armée allemande.

L’armée de l’Est reste celle de la dernière chance. Confiée à Bourbaki, qui avait commandé la Garde de l’empereur, et forte de 150 000 hommes, elle doit libérer Belfort puis à partir des Vosges prendre les forces allemandes à revers. Mais les Allemands lui ont déjà coupé la route de Belfort près de Montbéliard. Les combats durent 3 jours (du 15 au 17 janvier) alors qu’il gèle la nuit à -18 degrés et que les hommes sont affamés et n’ont aucun refuge pour les abriter. N’ayant pu percer, Bourbaki ordonne un repli sur Besançon et tente de se suicider. Des renforts allemands très importants encerclent l’armée qui pour leur échapper est contrainte d’entrer en Suisse, avec l’accord des autorités helvètes, à condition d’y être désarmée afin d’éviter toutes poursuites de l’armée allemande sur le territoire suisse. 87 000 soldats évitent ainsi d’être faits prisonniers ; ils seront répartis dans 180 villes et villages, nourris et logés avec beaucoup d’égard et de sollicitude par la population civile suisse que la France dédommagera plus tard.
En 6 mois la guerre a fait côté français 139 000 morts (dont 32 000 à Gravelotte) et 141 000 blessés contre respectivement 45 000 et 90 000 côté allemand ; 370 000 soldats et 12 000 officiers français sont prisonniers en Allemagne contre moins de 40 000 Allemands capturés par l’armée française (source François Roth).

Reste Paris. La population souffre de la faim, mais toujours patriote et belliqueuse elle ne comprend pas ces successions de défaites et l’inaction de l’armée régulière réfugiée dans la ville qui ne tente que rarement de briser l’encerclement. Elle se sent terriblement humiliée lorsqu’elle apprend que l’Empire allemand a été proclamé le 18 janvier 1871 dans la Galerie des glaces du château de Versailles et que l’armistice a été signé le 26 janvier. Ces 2 événements sonnent l’hallali après 6 mois de combat : la France s’est rendue, la France est à terre !


Mais il faut rebâtir le Pays ! Après une campagne électorale tronquée (à peine 10 jours), la première Assemblée Nationale de la IIIème République est élue le 8 février pour succéder au gouvernement de Défense nationale; elle siège à Bordeaux. Les élus de province sont plutôt royalistes ; ils veulent la paix, le retour des prisonniers et de l’ordre : ils remportent la majorité sur les élus de Paris, d’Alsace et de Lorraine qui sont davantage de l’avis de Gambetta et favorables à la continuation de la lutte. Thiers est nommé Chef du gouvernement ; il reçoit carte blanche pour négocier des préliminaires de paix avec Bismarck. L’Allemagne impose des conditions très dures: le paiement d’une somme pharamineuse de 5 milliards de francs-or et le rattachement à l’ empire allemand de territoires alsaciens et lorrains représentant 1 700 communes et 1 600 000 habitants. Le texte est ratifié par l’Assemblée Nationale française le 1er mars par 546 voix pour, 170 contre et 20 abstentions.

Lorsqu’elle a connaissance des clauses prévues, la population ouvrière des quartiers Est de Paris se révolte et appelle le 18 mars les gardes nationaux et tous les volontaires à créer une nouvelle autorité républicaine qui continuera le combat : la Commune de Paris est proclamée le 28 mars 1871 ; elle peut compter sur une force d’environ 30 000 combattants et dispose des canons de la garnison de Paris.

Thiers se réfugie à Versailles avec le gouvernement et de nombreux parisiens des quartiers Ouest de Paris. Pour ramener l’ordre dans Paris, il constitue avec l’autorisation de Bismarck, une armée de plus de 150 000 hommes, commandée par Mac Mahon, le vaincu de Sedan. Les combats débutent le 2 avril au milieu des barricades et déclenchent de nombreux incendies de bâtiments civils et publics (dont le Palais des Tuileries, le Palais d’Orsay et la Mairie de Paris). Ils se terminent lors de la semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871 : 20 000 à 30 000 Parisiens sont tués au combat ou exécutés ; 40 000 sont arrêtés, 270 sont condamnés à mort, plus de 13 000 condamnés au bagne en Nouvelle Calédonie ou à l’exil…. La ville de Paris est désormais ouverte aux forces allemandes qui l’occupent quelques jours pour y défiler.

Entre-temps le traité de Francfort a été signé le 10 mai 1871 ; il confirme les conditions énoncées ci-dessus et les Allemands occuperont le Nord et l’Est de la France jusqu’au paiement du tribut. Suite au lancement d’un énorme emprunt, la France paie sa dette en 3 ans et le sol français est libéré en 1873… mais pour les terres annexées l’échéance d’une libération paraît bien lointaine… Les Alsaciens-Lorrains ont rejeté leur empereur français (Napoléon III) et se retrouvent sous le joug d’un empereur allemand, Guillaume Ier !

Le rattachement de l’Alsace et la Moselle à l’Empire allemand

Comment fut dessinée la frontière ?

Au départ, Bismarck souhaite le seul rattachement des terres dont la population avait fait partie du St Empire Romain Germanique et qui parle encore un langage germanique (l’Alsace et la frontière nord de la Moselle). Mais Molkte, le chef d’état-major de l’armée réussit à convaincre Guillaume Ier d’y rajouter l’ensemble de la Moselle actuelle pour constituer une région tampon en mesure de protéger l’Allemagne en cas de nouveau conflit, en insistant sur le rôle que la ville de Metz pourrait tenir. Enfin les industriels allemands montrent un intérêt certain pour les terres riches en minerai de fer des coteaux de Moselle (la présence de ce minerai dans le sous sol de la partie restée française, de Briey à la frontière, ne sera découverte que plus tard).

Confiant dans l’avis de ses conseillers, l’empereur demande toutefois à titre personnel qu’y soient rajoutées les communes de Gravelotte, Rezonville et St Privat où tant de ses soldats perdirent leur vie et il accepte en contrepartie de laisser à la France un petit bout d’Alsace qui ne s’était jamais rendu : le territoire de Belfort.

La germanisation des territoires annexés

Metz fait désormais partie du Reichsland Elsass-Lothringen ( la « Terre d’empire » Alsace Lorraine »), un nouveau Land dont la capitale régionale est Strasbourg qui regroupe les hautes autorités du Land. Metz a davantage un destin militaire : il doit être en mesure de défendre le cœur de l’Allemagne si une nouvelle guerre venait à éclater. Metz va dès lors faire face à une submersion de casernes, de forts et de militaires qui en fera à la veille de la guerre de 1914 la plus grande forteresse du monde.

Le traité de Francfort stipule que les Français résidant sur le territoire annexé ont jusqu’au 1er octobre 1872 pour opter pour la nationalité française à condition qu’ils quittent ce territoire ; ils ont toutefois la possibilité de conserver leurs anciens biens. Au niveau du Land, le nombre des optants est important. Les fonctionnaires d’Etat regagnent la France peu après l’armistice. Les départs sont importants dans les mois qui précèdent la date limite, puis ce sont les jeunes gens qui gagnent illégalement la France pour ne pas faire leur service militaire dans l’armée allemande. Metz perd un tiers de sa population autochtone dans les cinq premières années de l’annexion, dont une bonne part de ses élites (avocats, commerçants, artistes de l’Ecole de Metz…) qui gagne notamment Nancy et Paris, puis un nouveau tiers dans les vingt années suivantes.

Les militaires prussiens et bavarois sont déjà présents (30 000 en 1871 et beaucoup sont logés chez l’habitant), ils seront environ 10 000 plus tard. Pour germaniser la ville, des fonctionnaires de l’empire allemand arrivent rapidement dans Metz, ainsi que toutes sortes de gens – investisseurs, aventuriers ou démunis – à la recherche d’une chance qu’ils n’ont pas trouvée sur leur terre d’origine et qu’ils espèrent obtenir sur un territoire appelé à de grandes transformations administratives, militaires et industrielles. Ces civils sont 5800 en 1875 et seront 21 000 en 1890 représentant alors la moitié de la population messine. Certains incarneront des réussites sociales et matérielles exceptionnelles: soutenus par les nouvelles autorités et profitant des emplois libérés par les optants, ils formeront une bourgeoisie immigrée qui cherchera à investir dans les campagnes proches des villes, notamment à Lessy et dans les villages alentours.

Lessy lors de l’ Annexion

Lessy est alors un village d’environ 400 âmes, doté d’une seule école et dont les principales activités tournent autour de la vigne (vignerons, tonneliers et un serrurier) ; le vignoble couvre 70 hectares. Mais outre des commerçants (cafés, auberges, épiceries), on y trouve aussi l’entreprise Thieriet, un atelier de filage et tissage de toiles de lin et chanvre qui met à profit l’eau qui actionnait l’ancien moulin… Le maire de la commune, Michel Nicolas Jamin, a été élu en 1865 ; il restera à ce poste jusqu’en 1877. L’usage du français en mairie et dans le village sera toléré jusqu’en 1914.

Selon le registre national des optants, 136 habitants nés à Lessy auraient opté pour la nationalité française, mais une bonne part d’entre eux ne réside déjà plus au village à la veille de la guerre de 1870. Il y a bien des départs, comme par exemple, celui de la veuve de l’ancien préfet Billaudel, propriétaire de la jolie demeure située place de l’église, ou celui de la famille Vincent, propriétaire de la belle habitation située au bas de la rue de la côte face à la Mairie.

Il y a donc ainsi des possibilités d’investir pour des ressortissants germaniques. Les recherches entreprises par Jean-Marie Reitz, un ancien habitant de Lessy passionné de patrimoine, nous révèlent que quelques achats eurent lieu dès la fin de la guerre.

En 1881 un riche investisseur allemand, le Baron Carl Knaus, rachète à Lessy à un investisseur germanique qui l’avait précédé 4 maisons dont 2 très belles demeures. Parmi elles, la Maison Billaudel qui sera habitée par la famille Knaus jusqu’en 1918 et le bâtiment dénommé le « château » (l’actuelle Maison St Anne) qu’avait habité la famille Thiva (un ancien maire) et que le baron Knaus revend en 1891 à Georges Weis, un entrepreneur en travaux public venant de Rhénanie.

Installé en premier lieu à Woippy, pour profiter des chantiers de construction des forts et bâtiments militaires de la région messine, G. Weis a déjà acheté à Lessy en 1879 des terrains couvrant 186 ha pour y construire la ferme St Georges, mais aussi des terrains couvrant 290 ha au Ban St Martin pour y construire une laiterie destinée à approvisionner en lait les commerces messins et les casernes militaires proches, et enfin, une carrière de 23 ha à Amanvillers pour y produire de la chaux et des pierres de construction. Pour diversifier encore davantage ses activités, il a décidé de produire dans ses caves, à partir des vignes proches, un vin champagnisé (près de 1 000 hectolitres par an) destiné surtout au marché allemand. Il réussit très bien tout ce qu’il entreprend et devient une personnalité remarquée de la bourgeoisie immigrée, recevant en son « château » et parc (la Maison St Anne) de nombreuses sommités messines.

Une partie des vignes de Lessy est exploitée à partir de 1890 par un autre marchand de vin allemand, Fritz Schaller, qui développe un domaine avec un parc s’étendant sur toute la gauche de la Grand’rue actuelle (quand on se dirige vers l’église) jusqu’à la place de la Liberté.

La maison de la famille Vincent est quant à elle mise en vente en 1882 et achetée par un sarrois, Mr Weyand qui la revend en 1884. Grâce à un legs de Mr Baudesson, avocat dont le père fut magistrat à la cour royale de Metz jusqu’en 1847, cette maison est achetée par la commune pour devenir l’école de garçons de Lessy et la demeure de son instituteur. Lessy a désormais deux écoles, l’une de filles, l’autre de garçons.

L’entreprise Thieriet qui emploie plus de 30 personnes en 1884 est rachetée pour devenir l’entreprise« Les tissages Labriet » ; celle-ci est gérée par deux allemands, Mrs Immer et Schuler.

Durant toute l’Annexion, le village garde son caractère rural et ne connaît pas l’essor démographique des communes voisines ; en 1905 la population de Lessy avoisine toujours les 400 âmes, la population germanique immigrée représentant moins de 10% d’entre elles. Toutefois au fil des années la vie des habitants du village se transforme peu à peu: dès 1872 la construction d’un nouveau fort est entreprise au col de Lessy (fort Manstein) empêchant un projet déposé en 1881 de mine de fer près du col de Lessy… ; en 1873 le chemin de fer relie Moulins à Metz ; l’accès routier au village étant difficile, car il se faisait par le chemin des Nouillons bien connu pour sa forte déclivité, un nouveau chemin plus facile est construit en 1880 pour relier Moulins: il deviendra bien plus tard l’actuelle rue de Metz ; le travail de la vigne reste l’activité principale des habitants, mais les arbres fruitiers (mirabelliers…) remplacent petit à petit la vigne attaquée par le phylloxera ; une population travaillant dans le tertiaire est présente dans le village (comptables) ou prend à Moulins le tramway hippomobile (puis électrique à partir de 1902) pour aller travailler à Metz chaque jour.

Quant à la ville de Metz, sa germanisation bien que bienveillante est plus marquée. Elle est parée par Guillaume II de monuments militaires à la gloire de l’armée allemande et équipée de casernes et de bâtiments publics gigantesques (gare, poste, églises protestantes et siège du gouverneur militaire), ainsi que d’un nouveau quartier autour de la gare après la destruction de ses remparts en 1900. Elle profite aussi de l’essor industriel que connaît le territoire situé entre Maizières-lès-Metz et Thionville, suite aux investissements des sidérurgistes allemands.

Mais, malgré tous ses efforts, le régime ne sut pas se faire aimer de la population autochtone et, 48 ans après l’Annexion et une guerre meurtrière, les libérateurs français reçurent en 1918 un accueil enthousiaste.

Epilogue : Que sont-ils devenus ?

L’Empereur Napoléon III est libéré par Guillaume Ier en mars 1871 ; exilé, il se réfugie avec sa famille en Angleterre où la reine Victoria les accueille. Mort en 1873 à l’âge de 65 ans, il est inhumé à Farnborough dans le sud de l’Angleterre avec son épouse Eugénie et son fils mort à 23 ans. Leurs corps y sont encore.
Achille Bazaine est condamné à mort en août 1873 par un conseil de guerre. Sa peine est commuée en 20 ans de prison par le Président de la République, Mac-Mahon; il s’échappe de prison un an plus tard et se réfugie à Madrid où il meurt à 77ans en 1888 et où il est enterré.
Adolphe Thiers devient le 1er Président de la IIIème République le 31 août 1871. Il démissionne en mai 1873 face à un Parlement à majorité monarchiste. Il meurt à 80 ans en 1877.
Guillaume Ier meurt à 91 ans en 1888. Son fils Fréderic III décède après seulement 3 mois de règne. Son petit-fils Guillaume II restera sur le trône jusqu’en 1918. Exilé, il se réfugie aux Pays-Bas où il meurt en 1941.
Otto von Bismarck reste chancelier d’Allemagne de 1871 à 1890 ; il meurt en 1898 à l’âge de 83 ans.